La solitude est-ce qu’on sait vraiment ce que c’est.
Depuis qu’il était divorcé, après quelques années de mariage et une fille de deux ans, il s’était trouvé un appartement et vivait seul.
Il en avait beaucoup contre cette femme qui n’avait pas voulu respecter cette promesse faite devant le prêtre le jour du mariage, « jusqu’à ce que mort vous sépare ».
Pour lui cette promesse était sacrée et pour rien au monde il ne l’aurait transgressé.
Il était du genre à respecter à la lettre une parole donnée.
Il avait été louveteau, puis scout, puis pionnier c’est dire à quel point une promesse était une promesse.
Le divorce allait le rendre quelque peu méfiant envers les femmes dans l’avenir.
Il n’allait pas recommencer une telle aventure.
Il avait perdu confiance et disait parfois qu’il ne se ferait pas prendre à nouveau
dans un engagement avec une femme.
Il a donc vécu le reste de sa vie seul.
Sans une femme à ses côtés, sans sa fille.
Il la voyait au début, mais plus elle vieillissait, moins elle tenait à leurs rencontres.
Un jour, elle ne vint plus et lui, même s’il aurait voulu la voir, n’arrivait pas à trouver
les mots qui aurait fallu pour que leur relation reprenne.
Il avait bien des amies et des amis.
Mais une fois à la retraite, il a perdu de vue ces amis qui eux travaillaient toujours.
Les choses avaient changées.
Il était libre de son temps, pas eux.
Quand il a su qu’il avait une maladie incurable, il a eu une envie folle de vivre des moments qu’il n’avait jamais songé vivre avant. Mais il n’avait plus la santé pour s’y adonner. Il vivait de rêves. Il vivait d’envie, d’espoir mais pas de réalité.
Il tenait à vivre seul, voulait qu’on ne se mêle pas de ses affaires, qu’on ne le questionne pas sur ce qu’il faisait ni où il allait.
Nous étions inquiets car il pourrait être mal pris à l’occasion, mais lui ne se voyait pas mal pris. Je pense même qu’il était dans le dénie total de sa condition.
Il avait des projets, il dépensait sans compter, croyant peut-être qu’il était riche,
de ne pas travailler et de retirer une pension. Il était extrêmement généreux avec les étrangers, avec ses amis, mais pas avec sa famille. Il a toujours été comme ça…
On aurait dit qu’il voulait tant se faire aimer des autres qu’il leur accordait plus,
trop même, alors qu’avec nous il savait que nous l’aimions, mais ne voulait pas qu’on le manifeste trop fort.
Combien de fois avons-nous tenter de l’amener à déménager dans un endroit où il aurait mieux profité de la vie, où il aurait eu de meilleurs soins, où il y aurait eu quelqu’un pour veiller sur lui au cas où durant la nuit par exemple, il aurait eu un malaise.
Non! Il voulait être seul, chez-lui dans son appartement, pas ailleurs.
Il restait toute la journée assis à la table de cuisine à regarder la tivi,
comme il disait si candidement.
Il buvait du café, fumait malgré son emphysème et mangeait mal, presque toujours de la bouffe de restos, qu’il avait d’ailleurs toujours mangé depuis son divorce.
Car il disait avoir appris à cuisiner avec maman, mais rien de plus illusoire, car maman ne lui avait jamais appris à cuisiner.
Il disait qu’il se cuisinait des repas, mais ce n’était pas le cas….
Il appelait au resto, sauf depuis que le CLSC lui avait assigné un préposé
qui venait lui cuisiner des plats pour la semaine.
Il a passé une grande partie de sa vie seul.
C’est ce qu’il souhaitait et il me l’a si souvent dit que ça me bouleversait.
Je n’avais qu’un frère et nous étions si loin l’un de l’autre.
Nous avions 10 ans de différence.
Bon, à ses 5 ans j’en avais 15 et je courrais les filles.
À ses 10 ans j’en avais 20 et je courrais toujours les filles, mais aussi les salles de danse, les clubs et tout le tralala…..
À ses 14 ans, j’en avais 24 et il servait la messe de mon mariage en pleurant tout le long de la cérémonie. Il avait un grand coeur et était d’une sensibilité extrême.
Un rien le faisait pleurer mais il jouait les durs-à-cuir.
Encore la semaine avant de mourir, il me disait qu’il allait faire une plainte contre ceux qui appelait son numéro et fermait la ligne sans rien dire. Il disait que s’il en pognait un, il se ferait brasser, comme s’il était en état de brasser ne serait-ce qu’un roseau.
J’avais cessé de lui parler de vivre ailleurs.
Il se choquait contre moi et je ne voulais pas qu’il perde son énergie à défendre son point de vue qui me paraissait illogique. J’avais simplement dit que je craignais qu’il lui arrive un pépin alors qu’il serait seul et ça m’inquiétait.
Il avait répondu que lui ça ne l’inquiétait pas et que s’il devait lui arriver quelque chose,
il savait que ça pouvait arriver et qu’il appellerait le 911.
Ce matin du 1er septembre nous l’avons trouvé dans son appartement…. mort.
Il est mort comme il le souhait… chez-lui, mais seul…. comme ça arrive très souvent,
trop souvent à ceux qui vivent seul. Mais il n’est jamais allé dans un CHSLD… lieu qu’il honnissait puisqu’il y allait pour voir maman et qu’il ne voulait surtout pas devoir y aller aussi. Il est probablement mort la veille, soit le 31 août, car il n’a pas pris son médicament du soir, mais on ne pouvait pas savoir.
Il n’a pas pu appeler le 911, même s’il savait quoi faire car on n’a pas toujours la force de se rendre au téléphone quand soudain on a un gros malaise.
Pour nous sa vie n’était pas UNE vie.
Mais qui sommes-nous pour juger de la qualité de vie d’une personne.
Les choix de l’un étant si différents des choix de l’autre.
Par exemple, il fumait encore.
C’était son choix et même si je n’étais pas d’accord avec son choix, je ne l’ai jamais critiqué de continuer à fumer sachant à quel point cela est difficile d’arrêter.
L’ensemble de ses choix de vie on forgé sa vie et l’on réduite à un maigre 62 ans.
C’est déjà 10 ans de plus que ce que son père a vécu.
Mon frère est décédé le 1er septembre 2014. Seul.
Que sait-on de la solitude des autres ?